Prise de parole de Jean Calvary sur la tombe de Simonne Goenvic, le 11 avril 2013 au Père-Lachaise
Chers amis, Chers camarades,
Chères Annie, Martine, Cécile, Stéphanie, chers Michel et Thierry,
Nous sommes réunis ce jour pour rendre hommage à Simonne. Pour Simonne, cela prend une dimension hors du commun tant sa vie, son action, sa disponibilité pour les autres, son altruisme, son apport à la réflexion, sa fidélité à son idéal comme en amitié nous ont marqué.
La douleur que nous ressentons aujourd’hui est proportionnelle à l’estime, au respect, à l’admiration que nous portions à cette femme extraordinaire dans ses engagements, dans sa détermination à promouvoir ses convictions, dans son opiniâtreté à agir pour améliorer le sort des travailleurs, des classes populaires et des plus démunis.
Malgré une dernière lutte admirable et une résistance acharnée contre la maladie qui la rongeait depuis plusieurs années, celle-ci a fini par l’emporter. Cette saleté de cancer qui l’avait déjà éprouvé à la fin des années 90 avait semblé reculer avant une rechute en 2009. La rigueur avec laquelle elle suivait les prescriptions, son hygiène de vie, nous ont laissé espérer une autre issue. C’est aussi cela qui fait mal aujourd’hui.
Nous ressentons tous un immense vide, un sentiment de tristesse incommensurable à la mesure de ce que Simonne nous a apporté à tous, de ce qu’elle représentait comme référence dans l’engagement militant. Jamais découragée, jamais vaincue, toujours déterminée à remettre « l’ouvrage sur le métier », à ne jamais ménager son énergie pour mettre en mouvement les collectifs militants, à faire surgir le meilleur de l’humain en chacun d’entre nous, quel exemple elle pouvait être pour nous ! Je l’entends encore dire « Arrêtez de vous lamenter et travaillez plutôt à organiser les luttes ». Cela dit sans animosité tout en étant attentive aux soucis personnels des camarades et des amis. Simonne était née le 8 aout 1940, pendant l’occupation allemande et la collaboration du pouvoir pétainiste, ces années noires où l’on ne mangeait pas à sa faim, où le patronat tenait sa revanche sur le front populaire, où la crainte d’être dénoncé pour activité militante était tout le temps présente. 5ème enfant d’une famille bretonne constituée en Région parisienne, « immigrés de l’intérieur » comme on disait, mal logés, encore plus mal payés, elle fut élevée dans ces valeurs de résistance au fascisme, de solidarité ouvrière. A Villejuif, la ville de Paul Vaillant Couturier, aimait-elle à rappeler.
28 mai 1952 : première manifestation avec sa mère, malgré son jeune âge, contre la guerre de Corée et la venue du Général Ridgway à Paris, qui avait ordonné l’utilisation d’armes chimiques. Cette manifestation sera chargée par la police et fera au moins un mort parmi les manifestants. Jacques Duclos, secrétaire général du Parti Communiste par intérim, sera arrêté le soir même et accusé d’atteinte à la sureté de l’Etat dans l’affaire dite « des pigeons ». Cet épisode marquera la jeune Simonne, enracinant en elle sa détermination à ne « rien lâcher » comme on dit aujourd’hui.
En 1956, elle entre dans la vie active à 16 ans, en intégrant le Crédit Lyonnais et en adhérant simultanément à la CGT, au Parti Communiste et à l’Union des Jeunes Filles de France. Elle milite immédiatement et s’engage intensément dans les luttes revendicatives, pour l’amélioration de la condition des femmes et contre la guerre en Algérie et bientôt, bien que n’ayant pas l’âge de voter, dans la campagne pour le NON au référendum sur la Vème République voulue par De Gaulle qui consacrera un régime de monarchie présidentielle. On en voit tous les effets néfastes aujourd’hui.
Dans son combat pour que cesse la guerre en Algérie, elle ne ménagera pas ses efforts malgré les attentats meurtriers de l’OAS et restera marquée à vie par sa participation, avec ses camarades de la Banque, à la manifestation du 9 février 1962 réprimée férocement par Frey et Papon qui couta la vie à 9 militants syndicaux dont 8 communistes. Elle mettra un point d’honneur à participer et à faire participer à chaque commémoration de ce lâche assassinat.
Dans la même veine, elle sera à l’initiative du fleurissement chaque année de la plaque en mémoire de Danielle Casanova, fondatrice et 1ère dirigeante de l’Union des Jeunes Filles de France, organisatrice éminente de la résistance, arrêtée et déportée à Auschwitz où elle y décèdera.
Dès l’âge requis, ayant déjà acquis la confiance des camarades de son syndicat, Simonne est élue Déléguée du personnel et bientôt au Comité d’Etablissement. Les membres de la direction d’alors, pour ceux encore vivants, doivent encore s’en souvenir. Elle en subira de nombreuses sanctions, dont une en 1976 à l’occasion d’une campagne pour la liberté d’expression politique à l’entreprise qu’elle anima en tant secrétaire depuis l’origine de la section d’entreprise de la Banque. On ne peut aujourd’hui qu’être admiratif devant l’objectif novateur de ce combat alors que les droits des citoyens s’arrêtent aux portes de l’entreprise et sont soumis au « droit de propriété des moyens de production et des capitaux ». Quel combat d’actualité alors que la crise aujourd’hui sert de prétexte, à ceux qui l’ont enfanté, pour licencier, baisser les salaires, augmenter le temps de travail et la productivité sans que les travailleurs-citoyens n’aient droit à la parole.
C’est donc tout naturellement qu’elle intègre le groupe de travail permanent du PCF dit « des 43 » sections d’entreprise, chargé d’approfondir les axes de bataille du Parti sur les grandes questions économiques, de donner du contenu à la notion d’autogestion dans les ateliers et usines et d’aider ainsi les militants d’entreprise à mieux se saisir des enjeux et alimenter idéologiquement les luttes. Parmi ses camarades figurent Aimé Halbeher, Elie Dayan, Guy Hervy, etc… Cette initiative très prometteuse sera liquidée dans les années 80.
En 1981, devenue conseillère de Paris en remplacement de Claude Quin, Simonne est contrainte de quitter son activité professionnelle à la Banque pour se consacrer à temps plein à son mandat d’élue et à ses responsabilités politiques dans l’organisation.
Elle mènera alors, avec courage et détermination dans une grande adversité, tous les combats électoraux, assumera sans relâche le mandat que lui auront confié les habitants du 2ème. Son nom reste associé aux actions contre les expulsions de locataires avec l’exigence de réalisation de logements sociaux, avec les parents d’élèves pour l’amélioration de l’accueil scolaire, associé au soutien aux travailleurs en lutte, de la Presse, des Services Publics, contre les politiques de désindustrialisation, de privatisation du secteur bancaire et financier, contre la casse du statut d’entreprises, comme la Caisse d’Epargne, ayant vocation à l’origine de financer le logement social. Elle sera particulièrement active contre la délocalisation du centre de tri de la Poste du Louvre et contre la fermeture du lycée Rose Bertin.
Parallèlement, de 2001 à 2008, par délégation du Maire du 2ème, ici présent, Simonne va présider la commission des aides exceptionnelles du Centre d’Action Sociale où elle va œuvrer, avec une réelle efficacité reconnue, pour une meilleure prise en compte des besoins de ceux qui vivent dans la précarité, jeunes et personnes âgées, et pour le relogement de mal logés ou menacés d’expulsion.
En 1997, elle propose, au nom de la section Halle/Bourse, à la direction parisienne du PCF l’organisation d’une initiative pour exiger, conformément à la promesse du candidat Chirac, l’organisation d’un référendum avant la mise en œuvre de l’Euro. Elle ne trouvera d’écho favorable qu’auprès de quelques membres du comité fédéral. Déjà engluée dans la « Gauche plurielle » et la solidarité gouvernementale induite par la participation de 3 ministres communistes dans le gouvernement Jospin, la direction du PCF préférera s’abstenir de risquer de contredire l’action gouvernementale en faveur de l’Euro mis en place par Strauss Kahn.
S’appuyant sur plusieurs centaines de milliers signatures sur une carte pétition initiée lors de la fête de l’Huma précédente, Simonne va persévérer dans ce sens et organiser, avec d’autres responsables de section, le rassemblement en mars place de la Bourse.
La politique du gouvernement Jospin, basée sur la soumission aux injonctions de la commission européenne et accentuant sans précédent les privatisations, n’a fait qu’aggraver les divergences entre nombre de militants communistes et la direction de leur parti. Mais conforme à son état d’esprit, Simonne ne s’est pas résignée et a pris une part prépondérante dans la constitution de « l’Appel des 500, devenu rapidement 700 » à Paris puis dans sa généralisation sur l’ensemble du territoire avec le texte « Nous assumons nos responsabilités » qui appelait les communistes à prendre en charge eux-mêmes, en toute souveraineté, la réflexion et l’activité communiste devant l’inaction des dirigeants.
Constatant la difficulté, voire l’impossibilité, de réorienter la ligne de soumission de la direction du PCF qui s’accentuait au fur et à mesure des différents congrès, Simonne a participé activement à la création de l’association « Rouges Vifs Paris », devenue « Rouges VifsIDF », pour que les nombreux militants, qui se mettaient en retrait voire quittaient le PCF, puissent conserver des lieux de débat réel, de réflexion, des espaces de réunion et d’actions communistes.
La contribution de Simonne, son impulsion, sa relance permanente auprès des camarades, ont été déterminantes dans la naissance et la consolidation de notre jeune association. Cela a permis plusieurs expressions fortes, comme notre « NON à toute constitution européenne », et l’organisation de débats sur des questions fondamentales comme le salaire socialisé, les institutions, la socialisation des Services Publics ou la dette capitaliste.
Simonne avait comme boussole le respect absolu de la souveraineté populaire et comme objectif les conditions de son avènement. Cela passe par un travail collectif à faire partager largement sur l’éclairage des enjeux et des responsabilités des uns et des autres, sur les obstacles à surmonter, sur la lucidité indispensable à acquérir pour que les luttes soient victorieuses. La politique, cela doit être pour mais surtout par le peuple. C’est une condition incontournable pour se débarrasser véritablement et durablement du capitalisme et de ses ravages.
Ces quelques rappels suffisent à démontrer l’exemplarité de l’engagement militant de Simonne, son désintéressement personnel, sa droiture morale et intellectuelle. Ils inspirent le respect et l’admiration devant cette vie consacrée au bonheur de tous.
Les procès intentés contre Simonne par la direction du PCF en 2009 et 2010 n’en sont que plus odieux et insupportables. Faire appel à la justice capitaliste pour trancher des divergences politiques est indigne d’un parti qui se dit communiste. Qu’on soit d’accord ou non avec l’orientation qu’elle portait, Simonne avait régulièrement été réélue secrétaire de la section Halle/Bourse du 2ème arrondissement de PARIS. Elle n’a jamais souhaité quitter le parti de sa vie, pour lequel elle a tant donné. Mais c’est un fait les dirigeants de son parti l’ont mis dehors, avec ses camarades en refusant de leur remettre leur carte et timbres et en obtenant son expulsion du local qu’elle avait permis, par son action déterminante de dirigeante et de militante, d’acquérir et d’entretenir. De tout cela, et alors que la maladie se manifestait à nouveau, Simonne en a été très affectée et cela a participé à l’affaiblir. A l’inverse, que tous ceux qui l’ont soutenu dans cette période, où les huissiers mandatés par la direction du PCF frappaient à la porte de son appartement, sachent qu’ils ont été pour elle un précieux réconfort.
C’est maintenant que nous allons mesurer le grand vide que constitue sa disparition. Simonne, « Momonne » , était un peu notre conscience qui nous faisait reprendre le chemin de l’activité militante ou simplement goût à la vie lorsque nous avions un coup de mou. Nul doute que nous garderons en nous son souvenir et saurons honorer sa mémoire en nous « bousculant » pour continuer son action.
Elle sera, à coup sûr, toujours présente dans notre esprit, ici ou sur la falaise, et cela nous sera précieux lorsque, devant une décision d’initiative politique ou plus simplement de positionnement dans la vie, nous nous interrogerons sur le « à quoi bon ? ». Nous nous rappellerons alors qu’il faut « arrêter de nous lamenter » pour poursuivre ce travail de fourmi que nous savons indispensable.
La vie de Simonne fut exemplaire dans son abnégation, malgré les drames personnels qu’elle a du surmonter, exemplaire dans son absolue confiance dans la capacité du genre humain à générer le bonheur pour tous. Elle nous fait toucher du doigt la possibilité d’un monde fraternel, débarrassé de toute domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.
Adieu Simonne, nous ne te remercierons jamais assez de la référence que tu constitues pour nous. Tu continueras à vivre dans notre esprit.
Kenavo.